Revenu d'entre les Morts [PV avec Sahagiel]

Après plusieurs jours restés dans sa chambre, Milo put enfin s'offrir le loisir de sortir un peu, bien qu'il restait toujours dans le Manoir. Sa décision de sortir fut prise quand il eut la nouvelle du retour de son conseiller. Il fut heureux de cette nouvelle, car il avait plein de choses à voir avec Sahagiel, notamment ce qui se passait avec le Cerbère. Son loup blanc marchait lentement dans le dédale de couloirs qu’offrait cette grande bâtisse. Le visage toujours neutre et glacial, Milo réfléchissait toujours. Avait-il pris le bon choix en faisant espionner Mikhaïl, alors qu’il ne savait rien d’Akki, ce Cerbère venu sur Evalaness pour l’aider. Sahagiel allait peut-être lui dire… Enfin, il espérait.

Lacri s’arrêta. Il se tourna vers son ami et lui fit remarquer :

¤ Un jour, tu devras juger de toi-même tes actions. Un conseil, c’est toujours bien, mais c’est mieux quand on se le donne soi-même.
- Oui, je sais… Tu as remarqué de toute manière que je ne demande presque plus rien. C’est juste pour l’histoire du Cerbère qui me tracasse beaucoup. ¤

Le regard gris du loup lui répondit et Milo soupira. Le pas des deux amis ne faisait aucun bruit et c’est donc silencieusement qu’ils arrivèrent à une salle inconnue de la moitié des habitants de ce manoir. Là, ils rentrèrent à l’intérieur et l’Ange Déchu alla savoir sur l’un des fauteuils en attendant Sahagiel…

Sahagiel avait quitté ses appartements avant l’aube, dans les ténèbres de la soirée, et un soleil timide se levait quand il atteignit la salle secrète. Comme presque tous les matins, il portait de solides cubitières aux poignets, une chemise en lin et une houppelande blanche doublée de fourrure pour remplacer ses vieux habits. Ainsi paré, les mains vides à l’exception du sabre dont il ne se séparait jamais, Sahagiel éleva son poing pour frapper à la porte de la chambre. L’Ange était résolu à se montrer courtois avec Milo, même si le silence de son jeune ami l’oppressait un peu plus chaque jour. Pourquoi endossait-il ses peines, sans chercher d’appuis auprès de ses comparses ? Sahagiel voyait sans mal la fatigue de l’Ange, malgré ses pérégrinations de plus en plus fréquentes ; Milo semblait épuisé par les rouages de la politique, bien que Sahagiel ne douta pas une seconde de sa force psychologique.
Tel un prédateur usé par de longues chasses, Milo comprimait tous ses secrets en lui, tous ses pensées et ses attentes. A cette heure, qui réellement pouvait déterminer ses plans ? Guère de personnes, à son grand damne.
Le soleil n’était pas encore levé. Les flancs noirs du palais se dressaient dans l’obscurité de cette aurore et la présence de l’édifice, où tant de sentences avaient été jetées, semblait peser sur ses épaules. En entrant dans la pièce, Sahagiel songeait encore aux raisons de cette convocation. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il avait craint un moment que Milo l’oubli, ne veuille plus le rencontrer…

- Bonjour, Milo, heureux de te revoir après cette absence. Tu voulais me parler, semble-t-il ?

Rhadamante, sa panthère noire, s’avança elle aussi dans la pièce cossue, cependant elle n’osa s’approcher de l’Ange, les crocs de Lacri balayant en elle toute envie de s’approcher.

Enfin, il arriva suivit de sa panthère noire. Sahagiel était là, devant lui et ce fut lui qui parla en premier. Le visage du conseiller n'avait pas changer, bien qu'il paraisse plus fatigué. Milo se leva et un petit sourire s'installa sur ses lèvres clair. Il caressa son loup et se fit songeur. Beaucoup de choses s'étaient passés depuis leur dernière conversation. Par quoi allait-il commencer...

"Bonjour mon ami, content que tu sois denouveau parmis nous. Oui, je voulais te parler... Connais-tu Mikhaïl ? De toute évidence, oui. Un Cerbère est venu me voir en disant que le Roi des Enfers proposait son aide. Connaissant par les récits et par quelques personnes, j'ai choisi de ne pas accepter totalement. Mon point de vue en tout cela n'est connu que de moi et ce que souhaite son roi ne fait pas partit de ce que je veux, moi. Mais, je sais très bien que je ne peux pas refuser une aide telle que celle-ci alors j'ai envoyé le Cerbère espionné Mikhaïl... Je regrette ma décision et je ne sais pas si j'ai bien fait ou non. Quel est ton avis ?"

Il recula s'assoir et invita Sahagiel à faire de même d'un signe de la main. Lacri vint se poser à ses pieds et ferma ses yeux mais, ses oreilles écoutaient toujours aussi bien. La pièce où se trouvait les deux Anges Déchus était une pièce secrète. Seuls quelques personnes la connaissait et elle était utilisée pour des réunions importantes. On savait que là, personne ne viendrait espionner. C'était donc sur et calme.

Le regard de Milo qui s'était perdu quelques minutes, revnit vers son conseiller et notamment sur sa panthère noire. Il était content de revoir Sahagiel et c'était sans doute la seule chose qui pouvait le rendre joyeux, les discussions...

Sahagiel ne répondit pas tout de suite mais s'assit sur une bergère près de la fenêtre, sombre et renfermé comme un grand oiseau de proie à bout de forces. Pendant plusieurs minutes, les deux hommes privilégièrent l'observation à la parole, puis Sahagiel se mit à réfléchir à la question, analysant les paroles de Milo avec un intérêt chirurgical.
Les fenêtres de la chambre étaient soigneusement barrées par des volets, cependant Sahagiel entendait les gouttes de pluie tomber sur le toit, sentait la froideur des pierres tout autour de la maison. Ce temps ne prêtait guère au frivolité, aussi répondit-il avec un grand sérieux :

- J'ai déjà entendu parler de ce cerbère, cet envoyé des enfers. Cette aide semble à double tranchants : si nous renvoyons le cerbère, il risque de rejoindre le camps adverse, et nous ne pouvons prendre le risque de grossir leurs rangs, toutefois en acceptant nous ouvrons la porte à un espion, le fer de lance des démons dans notre demeure. L'autoriser à évoluer parmi nous sembla un bon compromis, mais sache toutefois le garder en dehors des grandes réunions, le temps qu'il fasse ses preuves et prouve sa loyauté. SA venue ici ne signifie qu’une chose : il souhaite le chaos, la destruction, or pour démanteler le pouvoir en place, il a besoin de ton soutien. Veut-il se servir de toi ou simplement t’appuyer ? Je ne saurai le dire, toutefois, prends garde ; en cette heure trouble, la moindre erreur stratégique nous serait fatale, gagner un allié ou perdre un combat, tel est ton choix, Milo. Un pari risqué mais qui pourrait s'avérer intéressant. M'est avis que le roi des Enfers ne l'envoie pas sans raisons, aussi servons-nous de lui en remerciement...
" Je connais ton bras droit, certainement depuis son entrée à ton service, bien que je ne lui parle qu'à de rares occasions. Le faire espionner est dangereux, car s'il s'en aperçoit, son désir de vengeance pourrait se réveiller, néanmoins il est nécessaire de le surveiller. S'il devait agir inconsidérément, au moins, nous saurions entraver ses plans. Dans le cas contraire, ta vie serait en péril, un sacrifice inutile...

S’étant tu, Sahagiel plongea son regard dans les rainures de la table, à nouveau plongé dans ses pensées.

La pluie tombant en averse faisait un bruit qui gênait Milo. Le silence était son ami et le moindre autre bruit le dérangeait pour réfléchir. De ce que venait de dire Sahagiel, il en fut rassuré pour ses choix. Il répondit à son conseiller :

"Mikhaïl me sert beaucoup, certes, mais sa présence peut être remplacé à tout moment. Pour l'instant, il met très utile, mais si le Cerbère découvre quelque chose sur lui, je le ferai tuer ou du moins, il mourra. Je n'ai guère le choix là dessus... J'ai pris le risque de l'accepter, ce risque je dois le tenir en l'espionnant. Mais, si Mikhaïl découvre que je le fais espionner, j'ai déjà l'argument pour lui. Quant au Cerbère et à son Roi... J'en vois l'utilité comme je ne la vois pas. Nous nous débrouillons très bien sans lui et si jamais nous l'acceptons dans nos rangs, des soldats pourraient ne pas être d'accord et dans ce cas là, ça fait plus de problèmes que de réussites... Nous verrons ce que nous réserve l'avenir, cruel ou non."

Il avait parlé d'un grand sérieux et calmement. C'était assez souvent mais le manque de froideur était rare. Peut-être parce qu'il s'adressait à son ami... Allez savoir. Il releva la tête et son regard transperça Sahagiel et dit :

"Enfin bref... Comment vas-tu et qu'as-tu fait pendant ces quelques semaines où tu étais absent ?"

Ce brusque changement de sujet ne déplut pas à Sahagiel. L'intrication des événements tournait tel un rapace dans son esprit, or la seule chose qui lui manquait en ce moment était le repos. Se détendre, même un instant, en revenant sur son voyage lui assurerait une tranquilité d'esprit ; au moins une minute où on n'aurait pas besoin de ses qualités de stratège, seulement d'un ami.

- Ma foi, ce voyage ne fut pas déplaisant. J'ai traversé de nombreuses villes afin de m'imprégner des rumeurs, les laisser couler en moi. Le bas peuple te considère comme un assassin, sais-tu ? Mais d'autres, intellectuellement plus developpés, t'estiment beaucoup. C'est très intéressant de suivre leurs évolutions ; s'ils connaissaient la vérité... Enfin, j'en ai aussi profité pour revoir d'anciens amis, ou plutôt leur faire mes adieux. Des choses assez désagréables, je dois dire. Revenir au manoir m'apporte le plus grand bien. Mais cessons de parler de moi, veux-tu que je fasse quelque chose pour toi ?

« Un assassin ? »

Milo ne put s'empêcher de répéter ces deux mots avec surprise. Cela ne l'étonnait pas trop, mais quand même, un assassin. S'en était trop, un rire froid sortit de sa bouche, et des larmes apparurent au coin de l'oeil. Ces paysans étaient décidément très comique... Enfin, peut-être que eux ne trouvaient pas ça comique, mais la belle affaire. L'avis du peuple ne l'intéressait guère, et s'il le prenait pour un assasson c'était parce qu'il voulait le prendre comme ça ou parce qu'ils étaient aveugles. Enfin, il n'allait pas se mettre de mauvaises humeurs pour ça !

Après s'être remis de son fou-rire glacial, mais fou-rire quand même, il s'essuya les yeux et reprit sa respiration. Il n'avait pas rigoler depuis longtemps et cela lui fit du bien. Il écouta Sahagiel parler et attendit qu'il eut fini pour parler :

« Repose toi, cela vaudrait mieux. Tu pourras rester au Manoir autant de temps que bon te semblera. J'aurais besoin de toi, mais seulement si tu es d'attaque. Je dois sans doute rencontrer des chefs de clans et j'aimerais ta présence à mes côté pour cela. Toutes ces rencontres m'épuisent et ne servent à rien... Je n'ai pas vraiment besoin d'alliés, puisque je ne compte pas tellement sur eux, mais je ne peux pas me permettre d'avoir plus d'ennemis... La courtoisie... »

Il soupira. Il était fatigué moralement. Ca pompait toute son énergie. Il doutait même parfois de lui dans des moments difficiles, mais heureusement, il n'en laissait jamais rien paraître. Rester fort pour être digne de ce qu'il est.

Il regarda son Conseiller, se demandant aussi pourquoi il avait fait des adieux à ses amis, mais cela ne le regardait pas vraiment...

En voyant Milo s'abandonner aux rires, Sahagiel sentit un poids délester son coeur ; à sa façon, il était parvenu à détendre le garçon, d'une manière pour le moins imprévue, mais efficacement. Il n'ignorait pas les souffrances, les responsabilités qui alourdissaient son ami, et parfois il regrettait de ne pas pouvoir faire plus, de ne pas pouvoir le soulager de ses tâches. Bien sûr, Milo aurait sans doute refusé ; il tenait à préserver l'intégrité de son pouvoir, à demeurer digne en dépit de sa fatigue. Dans un sens, Sahagiel admirait sa force. A sa place, supporterait-il le miasme de ces pensées ?

Ecartant d'un revers ces réflexions, Sahagiel répondit en souriant :

- Tu n'as pas besoin de me demander mon approbation ; j'accepte bien évidemment de t'accompagner, si je peux t'être utile en quoi que ce soit. Je sais à quel point les manigances politiques, la diplomatie peut-être harassantes. Je ne souffrirai de te laisser seul face à ces charognards, aussi animés de bonnes intentions soient-ils.

Milo eut un sourire discret. Il fut heureux d'entendre Sahagiel qui lui disait qu'il l'accompagnerait. Il n'en avait pas douté, cependant il ne voulait pas lui forcer la main. Cela servait à rien et ça ne faisait qu'envenimer les choses. L'adolescent se leva et marcha jusqu'aux fenêtres et regarda la pluie tomber contre les vitres. Son regard se perdit et ses pensées vinrent l'envahir. Il pensa un instant que le fait d'être rester un simple Ange dans le royaume aurait été plus tranquil, mais il repoussa cette pensée avec force. Celle-ci revennait d'ailleurs souvent, trop souvent. Il en avait même mal à la tête et espérait quelle finirait par partir... L'espoir...

En revenant à lui par le bruit de la pluie transformée en grêle contre les vitres, il dit :

« Au contraire, j'ai besoin de ton approbation. Te forcer la main n'est jamais la bonne solution et ça n'amène à rien. Je savais que tu accepterais, et je t'en remerci. Bientôt, je ne sais pas quand, je dois rencontrer un stratège, me semble t'il, Bohémien. Bohémien, mais de notre côté. Etant toi un bon stratège, ton aide me sera plus qu'utile. Je connais la ruse, mais la guerre, je ne maitrîse pas encore. »

Milo fit une pause qui lui permit de se tourner face à Sahagiel. Il se recula de la fenêtre en continuant :

« Si tu veux aller te reposer, tu peux y aller. Je ne te retiens pas, à moins que tu ne veuilles me parler de quelque chose ? »

Sahagiel plongea lui aussi son regard par delà la fenêtre, embrassant les plaines alentoures et, plus loin encore, le lac aux reflets de vieux fer. Les rayons du soleil tombaient obliquement par la vitre avant de se retirer derrière le rideau des nuages. Même s'ils frôlaient à peine ses membres, Sahagiel sentit leur chaleur l'envelopper comme un manteau de fourrure. Etait-ce un signe ? Un encouragement ou la promesse d'un temps meilleur ? En dépit de son scepticisme, il sourit faiblement.

- Je t'aiderai autant que faire se peut, tu as ma promesse, Milo. Quand tu m'apelleras pour partir à sa rencontre, je serai près ; d'ici là, j'aurai recueilli assez d'informations pour dresser le profil des bohémiens et organiser un argumentaire digne de favoriser nos positions. La guerre est un peu comme l'orage : on le voit arriver, mais une fois là, on s'étonne toujours de sa violence. Pour éviter ce genre de situations, j'étudierai chaque carte, chaque option et chaque possibilité que nous offriront les diplomates.

Il soupira, les yeux clos, puis termina sur ces mots :

- Si tu n'as plus besoin de mes conseils, ou même de ma présence, je vais donc me retirer. N'hésite pas à me faire mander si tu as besoin de quoi que ce soit, je répondrai à n'importe quelle heure, tu le sais.

Il se fendit d'une courte révérence, plus pour marquer son attachement, sa fidélité, que par ferveur, puis se dirigea vers la porte.

Milo fit un signe de tête à son Conseiller dès que celui-ci arrêta de parler, pour lui montrer son accord. Il le regarda faire une révérence et partir. Il resta un moment seul, et il sentit tout d'un coup sur ses épaules, l'énorme poids de sa vie chargée. Il devait tenir bon. Ce poids se changea en fatigue qui l'envahit totalement. Il quitta alors à son tour cette salle, et partit dans ses appartements pour se reposer et être en paix, du moins il l'espérait...